Je me réveillais en sursaut. Me redressant à demi, mon regard se porta sur ce qui m'entourait tandis que mon esprit embrouillé chercher à retrouver ses repères. Je ne reconnaissais pas la pièce dans laquelle je me trouvais. L'obscurité de celle-ci étant uniquement troublé par les lumières d'une pièce adjacente. Ma tête me donnait l'impression d'être passé sous un rouleau compresseur, mes membres étaient endoloris et j'étais à peu près sûr d'avoir une ou deux côtes cassés. Me laissant retomber sur l'oreiller, je constatais que je ne me trouvais pas sur la couchette de mon bateau mais dans un canapé. Comment avais-je atterrit sur ce dernier, tel restait la question à un million de dollars... Une silhouette se dessina alors plus loin. Flou au départ, je papillonnais des yeux à plusieurs reprises pour tenter d'améliorer ma perception et finalement, la personne me rejoignit. Ce visage m'était inconnu d'autant que je puis être sûr d'avoir toute ma tête. Se penchant, l'homme, un brun mal rasé aux grands yeux bleus, me regarda avec curiosité. Son nez ne devait être qu'à quelques centimètres du mien et il m'obligeait à loucher. Sur quel taré j'avais bien pu tomber encore? Et d'ailleurs, pourquoi j'étais tombé sur lui? Allez Gab' remue toi, joue-la à la Jimmy Neutron et réfléchis...

Me forçant, j'eus un premier flash : Le café était animé. Il faisait beau et une fois n'est pas coutumes toutes la population de Vancouver semblait s'être donné rendez-vous dans le coin pour prendre des bains de soleil en de bonnes compagnies. Je regardais ma montre avant de soupirer et de ramener mon attention sur l'écran de mon ordinateur portable qui affichait une page blanche des plus... frustrantes! Tournant et retournant ma bière entre mes mains, j'allai commencer à taper un semblant de phrase lorsque soudain une jeune femme se laissa tomber sur le siège en face du mien. Elle était éssouflé mais fit comme si de rien n'était et sorti un miroir de son sac à main pour s'assurer qu'elle ne ressemblait pas à un cochon d'inde ébouriffé - ce qui était le cas entre parenthèse. Elle eut une moue, tenta d'aplatir ses cheveux puis haussa les épaules et reporta son attention sur moi. Elle me sourit. « Alors, comment ça avance ce nouveau livre? » Je lui souris, ironique et répondis. « Aussi rapidement que si tu demandais à Elvis de faire une course avec comme récompense son fameux sandwich banane-beurre de cacahouète. » Elle arqua un sourcil. « Mais Elvis est mort. » J'acquiesçais. « Tout comme mon inspiration... » Elle se laissa glisser sur sa chaise et remercia le serveur qui venait de lui apporter sa boisson. Elle en sirota un peu avant, de dire simplement : « Tu devrais prendre des vacances. Ca ne te ferai pas de mal d'aller voir autre chose... Loin de la ville, loin de papa et de la H.L.S... Tu retrouverais sûrement l'inspiration comme ça... » J'ouvris la bouche pour protester puis tomber dans son regard noisette et la refermait. Elle n'avait peut-être pas tort après tout.

Tout était parti de là, je m'en souvenais, puis j'avais écumé les agences de voyages avant de passer dans une marina et de voir ce petit voilier. J'en étais littéralement tombé amoureux. Moi à qui cela n'était jamais arrivé pour une femme, j'avais eu le coup de foudre pour ce bateau. Ayant pratiqué la voile étant enfant et ayant de l'argent à ne plus savoir qu'en faire, le petit navire avait été dans ma possesion le soir même. Je l'avais réparé et customisé et deux semaines plus tard, nous étions près à partir. La marina de Vancouver était toujours pleine, principalement de bateau de pêche ou de petit voilier de loisirs, le mien, plus imposant faisait un peu tâche dans le décor. J'étais occupé à vérifier mon ravitaillement en eau lorsqu'une voix m'appela au dehors. Remontant à la surface, j'aperçue ma soeur sur le ponton. Sautant à terre, je la serrais dans mes bras avant de lui désigner le petit navire, plutôt fier de moi. « Il est magnifique Gab'... » Elle le détailla avec intérêt puis, s'approchant de la coque, elle s'arrêta sur une petite bâche qui en recouvrait une partie. « Qu'est-ce que c'est? » J'haussais les épaules avec un air des plus naturels. « Oh ça, rien. Tu peux l'enlever s'il te plait? » Elle fronça les sourcils puis eut une moue avant de s'appliquer à détacher le tissu... et ouvrit grand la bouche d'une manière peu élégante mais parfaitement compréhensible. « C'est son nom. » Dis-je, très fier de moi. « Mais, mais... Tu l'as appelé comme moi?! » Soudain plus très sûr de mon effet, je baissai les yeux sur mes chaussures en bafouillant. « Euh, oui... Je... » Je n'eu pas le temps de finir ma phrase qu'elle se jeta sur moi pour m'étreindre à m'en couper le souffle.

Je me souvenais parfaitement de mon départ quelques heures plus tard. Je me souvenais également des cinq mois qui suivirent, tandis que je contournais l'amérique du sud pour remonter vers les états-unis. Je me souvenais avoir fais une escale du côté de Porto Rico et de m'être ensuite dirigé vers la Floride et là... La nuit était tombé et le vent ne faisait qu'augmenter, de plus en plus sauvage, de plus en plus destructeurs. « C'est qu'un petit orage, ne t'inquiète pas... Le triangle des bermudes, mais de quoi tu parles? Bon je te laisse, je dois aller m'occuper de tout ça... Je t'embrasse aussi. » Et je coupais la communication que j'avais entreprit par téléphone satellite avec ma soeur. L'océan s'agitait tout autour du petit navire qui pris en otage tentait vaillamment de tenir le choc. Je courrais d'un côté à l'autre du pont, mon kawai sur le dos - vous savez, ce truc super classe qui est aussi le nom d'un sketch de Danny Boon. Les vagues se faisaient de plus en plus imposantes et tentaient chaque instant un peu plus de faire plier le voilier. Ce fut lorsque je pensais que cela allé enfin se calmer que le drame se produisit : un crac retentissant se fit entendre dans la tempête et je vis le mas brisé tomber de tout son long dans ma direction. Sautant pour esquiver l'attaque, je roulais sur le côté et venais tout juste de me redresser lorsque soudain une onde de choc balaya tout le bateau, me propulsant à terre. Inconscient.

Si j'étais tombé inconscient en pleine mer, comment pouvais-je avoir atterrit sur ce canapé? Je revins à la réalité lorsque l'autre se redressa et me sourit. C'était un sourire assez impressionnant, très charismatique et qui devait donner envie à n'importe qui de faire n'importe quoi pour son propriétaire sans se poser de questions... Hum, Gab' reprends-toi bon sang! Je me redressais de nouveau et m'assis, tentant d'oublier la douleur qui parcourrait mes muscles et le léger vertige qui en résultèrent. « Euh... Je suis ou? » Le brun lâcha un bref rire qui me surpris. Son naturel était désarçonnant. « Chez moi, dans mon salon, allongé dans mon canapé... Gabriel, c'est ça? » Je le regardais indécis. « Comment vous..? » Il me montra une carte qu'il tenait à la main. Ma carte d'identité. « Alors Gabriel Humphrey, né le vingt-sept novembre mille neuf cent quatre-vingt-quatre à Vancouver au Canada... Qu'est-ce qui t'as ammené ici... » Cette fois-ci, je ne cherchai même plus à cacher ma surprise. « Euh... Je... euh... étais en voyage, en vacance, je suis... je suis shérif et je prenais des vacances en solitaire sur mon voilier... » Me repris-je. Il eut une moue et sortis alors une autre petite carte de sa poche. Je blêmis. « Pourtant sur cette carte de visite tu es sous-directeur de la... Humphrey Litterary Society, basé à Vancouver... » Bravo Gab'! Bravo! J'eus un sourire en coin et dis simplement. « Tu me croirais si je te disais que cette carte n'était pas la mienne? » Il secoua négativement la tête avec lenteur, une expression... curieuse, peinte sur le visage. Je soupirais. J'étais épuisé, mon corps me donnait l'impression de peser au moins cent kilos de plus que la normal et j'avais soif... et faim! Alors après tout, pourquoi se poser trop de questions. Soudain, alors que je n'avais encore rien dis, il partis pour revenir quelques secondes plus tard avec un plateau sur lequel reposait un verre et un pichet d'eau ainsi qu'une assiette de ce qui ressemblait à des spaghettis bolognaises. Il remplit le verre et me le tendis. Le vidant d'une traite, je le remerciais et me rendis alors compte que je ne connaissais même pas son nom et je ne fus pas étonné en l'entendant : Chris. Cela avait quelque chose de simple, pure et d'angélique. « Hum... Tu ne m'as toujours pas dis ou j'étais... » Il se mordit la lèvre inférieur, apparemment hébété par ma question. Son regard me fuis un instant, puis regardant ses mains, il dit en se levant : « Tu es sûr une île que tu ne peux pas connaître car elle n'apparait sur aucune carte, et pour cause, tu es dans le triangle des bermudes... »

Je vérifiais que je ressemblais à quelque chose dans le miroir de l'entrée de ma maison avant d'enfiler rapidement ma veste en cuir et de sortir. A l'extérieur le soleil était encore en train de se lever. Une bonne partie de la petite ville était encore endormis, néanmoins, je croisais comme chaque matin mon voisin, un vieil homme de la cinquantaine qui sortait son chien. Marchant d'un bon pas dans l'air frais de la matinée, je ne mis que peu de temps avant d'atteindre mon lieu de travail : le poste de police. Ouvrant les volets de la pièce principal, je tirais - comme chaque matin - le gardien de nuit de son sommeil. Baillant à s'en décrocher la mâchoire, il regarda autour de lui avec un air surpris et dit : « Oh... Je me suis endormi dis donc... » Je retins un léger rire, comme chaque matin. Il se leva et s'étira avant de se diriger d'un pas boitant vers la porte. « C'est pas bien grave, c'est pas comme si il risquait de se passer quelque chose... » Répondis-je suffisamment bas pour qu'il ne m'entende pas. Il me salua et quitta le bâtiment. M'installant à mon bureau, je regardais le niveau d'énergie du panneau solaire que j'avais récupéré, il y a longtemps, sur mon voilier. Je grimaçais quand je constatai que celui-ci était trop faible pour utiliser quoi que ce soit. Je lâchais un soupire quand la porte du commissariat s'ouvrit sur ni plus ni moins que Chris, traversant la pièce, il déposa un café devant moi avant de se rendre au sien en sirotant sa propre boisson. Les yeux encore lourds de sommeil, je me demandais pour la énième fois comment faisait-il pour acheter les cafés et venir jusqu'à son boulot le matin... C'était un vrai mystère. Peut-être était-il somnambule?

La suite de la matinée se déroula comme la majorité de celle que j'avais vécu depuis trois ans, tranquille et presque monotone. Ne vous détrompez pas, j'aimais vraiment vivre sur cette île. Ici, je m'étais forgé une autre... non, ma véritable identité. Sans l'influence de mon père, de mon héritage et de tout se tralala de ville moderne, à cent à l'heure et jamais naturel. Ici, j'étais moi, juste moi. Et j'avais rencontré des gens qui m'appréciaient pour cela et ça, c'était certainement la chose que j'avais toujours souhaité le plus au monde. Certes, il m'arrivait de rêvé de wifi ou même de ma soeur qui me manquaient énormément tout les deux mais j'avais plutôt bien vécu la transition. Chris m'avait aidé à trouver se travail et était le seul à savoir que, là bas, en dehors, une famille de millionnaires était à la recherche de son héritier principal... Je n'avais qu'une peur; qu'ils me retrouvent un jour. J'étais en train de classer un dossier de vole à l'étalage lorsque soudain un homme fit irruption dans le poste de police. L'air fou, il s'exclama faisant sursauter mon compagnon comme un beau diable : « Attaqué! Nous avons été attaqué!! » Indécis, j'arquais un sourcil, attendant que l'homme poursuive, ce qu'il fit : « La nuit dernière, un loup gros comme un ours a attaqué mes bêtes! » Et c'est reparti. Je vérifiais le calendrier lunaire accroché sur ma gauche et dit d'un ton lasse mais poli : « C'est impossible Mr Henson, la pleine lune n'est que la semaine prochaine. » Rien que d'y penser, je retins un frisson et mes pensées se tournèrent tout naturellement vers Elle. Ou plutôt, Hell. La jeune femme qui m'avait envoûté, ni plus, ni moins. Pendant ce temps, l'agriculteur continuait son monologue : « Pleine lune ou pas, je sais ce que j'ai vu! Et les trois bêtes mortes dans mon champ sont là pour le prouver et... » Blablabla. Ce type était connu dans toute l'île pour passer son temps à se plaindre. Sachant qu'il en avait pour un petit moment, je permis à mes pensées de s'égarer de nouveau et mon regard se posa sur Chris, qui regardait l'homme avec cet air naïf et curieux qu'il arborait toujours. Remarquant que je le fixais, il détourna son attention vers moi et me sourit : si je n'avais pas été amoureux, j'aurai sûrement viré de bord depuis longtemps, c'est moi qui vous le dis! Mais non, j'avais Hell... Enfin façon de parler. Je fronçais les sourcils, fixant de nouveau l'autre type, je tentais de calmer mes idées. Car si il y avait bien une chose qui avait tendance à m'agacer de plus en plus, c'était certainement le fait que nous passions notre temps à nous cacher et à nous voir en secret. Personne n'était au courant de notre relation qui duré pourtant depuis déjà de nombreux mois et cette évidente preuve de sa peur de l'engagement commençait à me rendre dingue! Certes, je n'étais pas le meilleur dans ce qui était d'exprimer mes sentiments mais moi au moins j'assumé! Lâchant un soupire, je m'obligeais à admettre que je n'étais pas réellement en colère après la jeune femme, j'avais surtout cette peur horrible que tout ceci ne disparaisse. L'île, ma tranquillité, mes amis, tout ce qui faisait ma nouvelle vie et que je ne me réveille, une bonne bosse sur la tête dans un hôpital de Vancouver, ma soeur inquiète à mon chevet et mon père, s'assurant que je pourrais tout de même le remplacer plus tard pour diriger sa précieuse compagnie, son "bébé"... Ca vaut bien une heure à écouter le vieil Henson, c'est moi qui vous le dis...